lundi 20 mai 2013

E ritorno da te

Ce moment. Ils en avaient si souvent parlé. Envisagés différents scenarii, envisagé différents lieux. Il avait déjà été reporté une première fois et cette fois encore n’était pas certaine. Juste une option au cas où ses obligations professionnelles lui auraient permis d’être disponible le vendredi soir pour un rapide moment passé ensemble avant qu’il ne reparte le lendemain matin en province.

Ils l’attendaient. Autant l’un que l’autre.

Ce moment, comme tous les autres étaient marqué de l’atypisme de leur relation. Ils avaient appris à se découvrir au fil des échanges. Alternant les moments de plaisanterie complice et d’autres moments plus crus. Lui autorisant le tutoiement et lui promettant d’autres plaisirs soi-disant refusés « traditionnellement » aux soumises, si un jour elle le devenait. Ces moments atypiques qui ne les empêchaient pas de reprendre chacun leur place quand la nuit était tombée et que les voix se faisaient parfois halètements au téléphone.

Ce n’était même pas une volonté délibérée de casser les règles mais un état de fait. Il était ainsi. Pouvant être rigoriste sur certains points et se moquer délibérément d’une certaine étiquette tant que chacun y trouvait son compte.

Ce moment ce rapprochait donc. Moment de vérité où il ne s’agit plus de mots ou de récits, plus de promesses et d’envies échangées mais simplement de deux regards qui se croisent enfin, de deux corps qui se frôlent et se cherchent. Moment où les pièces du puzzle finissent par s’assembler et où l’autre prend toute sa dimension.

Un quai de gare un vendredi soir. Serait-elle dans le train ? Serait-il sur le quai ? Un doute semblait subsister jusqu’à la dernière seconde. Les rames s’immobilisent finalement sur la voie 8, la foule se dissipe. Plus de doutes possibles. C’est bien elle et c’est bien lui.

Aucuns mots échangés. Aucun besoin de se dire bonsoir. Aucun autre besoin que celui de la serrer contre lui. Son sac tombe machinalement sur le sol. Ses seins viennent s’écraser contre sa poitrine. Elle sent une moiteur s’emparer de son entrecuisse. Elle ne l’avait éprouvée jusqu’alors que lors de quelques appels nocturnes et a l’impression qu’elle se décuple dans ses bras. Elle ferme les yeux car connait la suite. Elle entrouvre sa bouche et sent sa langue qui entre en elle. Ce baiser, prendre sa bouche, il lui avait promis dès le début. Même pas promis d’ailleurs tellement ça lui apparaissait comme une évidence le jour où ils se rencontreraient. Une des premières « règles » transgressées…

Quelques instants après, toujours sans oser presque échanger le moindre mot, ils marchent vers sa voiture. Elle sait qu’elle ne dînera pas ce soir, du moins pas de nourritures habituelles. Le temps leur est tellement compté que chaque instant est précieux. Ils ne disposent que de quelques heures là où il leur aurait fallu plusieurs jours, alors autant aller à l’essentiel.

Elle le tutoie quand il lui demande si elle a fait bon voyage. Autre transgression des règles qu’il affectionnait. Elle sait qu’il ne s’agit que d’une parenthèse spécialement autorisée et que le vouvoiement reviendra de lui-même dans les minutes à venir. Le code qu’il lui avait prescrit était clair : au moment où elle accepterait de monter dans sa voiture elle accepterait également la suite des évènements et de sa condition.

Bien sûr il y aurait une demande en bonne et due forme, bien sûr il y aurait les différentes étapes de son noviciat, bien sûr il lui répondrait et lui avais déjà décrit le moment où elle sentirait jusque dans sa chair la façon dont il scellerait leur accord.

Elle savait pourtant que ce ne serait pas dans une chambre que les choses se décideraient et se mettraient en place mais bien au moment où elle accepterait de monter dans cette voiture. Elle était encore libre de prendre un taxi ou le RER pour rejoindre son amie au moment où la portière s’ouvrait devant elle.

Le claquement qui suivit son installation sur le siège passager résonnait dans sa tête non comme celui d’une portière mais comme le martellement d’une attache scellant un pacte.

La voiture roulait dans la nuit vers la sortie de Paris. La discussion était anodine mais chacune de ses respirations semblait un frémissement.

Une fois la porte de la chambre refermée, la confrontation finale allait commencer. Il lui serait encore possible de revenir en arrière, il lui avait promis.

Elle savait qu’il était déjà trop tard…

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