Au fur et à mesure que l’aiguille
vibre et pénètre la chair, les deux premières questions reviennent en mémoire.
Où et quoi. Ce furent les premières questions. Paradoxalement plus difficiles à
trancher que la toute première, celle avant
dire droit¸ celle du principe même d’une marque indélébile qui serait apposée
sur son corps.
Cela faisait partie de ce qu’il
allait lui demander. Il l’avait évoqué au début de leurs échanges, elle le
savait. Elle savait ce besoin de possession complet et exclusif, elle savait
cette fierté larvée qui lui ferait demander une marque, elle savait qu’elle
finirait dans cet atelier de tatouage.
Se déshabiller, se montrer quasi
nue au tatoueur ne serait qu’une formalité. Elle ne le verrait même pas, ne pensant
qu’à lui et brulant du désir de le satisfaire. D’être sienne et de le porter
non plus en elle mais bien sur elle. Elle n’avait pas espéré porter ses armes
alors, au moins, trouvait elle sa satisfaction dans le port de sa marque. Elle savait
qu’il marquait d’un timbre à sec ses ouvrages préférés et se sentait à la fois
objet et si vivante en s’inscrivant dans cette continuité de ce qui lui était
précieux.
Elle ne s’était même pas dit en
franchissant la porte de l’atelier que le tatoueur en avait certainement « vu
d’autres », sa seule crainte étant qu’il réalise le travail le plus
parfaitement possible. L’inspection serait sans faille car l’importance trop
évidente. On porte des marques comme des cicatrices, celle-ci serait comme un
blason, dorénavant une partie d’elle et de son orgueil.
Où et quoi, donc. Questions
délicates auxquelles il avait réfléchi longtemps.
Où était la question la plus
complexe des deux. Il fuyait l’ostentation et savourait le plaisir d’une
discrétion subtile, dans sa vie et dans sa mise. Il fallait donc qu’il puisse y
avoir accès facilement, sans pour autant que ce le soit pour autrui. Il avait
passé en revue les positions et gestes de sa vie quotidienne avant d’arrêter
son choix. Il devait en jouir en seul maître mais souhaitait qu’elle puisse
également en profiter ou lui rappeler sa condition. Le bas du pubis, un peu au-dessus
de l’aine avait donc été retenu.
Le quoi avait été assez simple,
il s’agissait de son chiffre.
Le tout lui avait été envoyé sur
un simple bristol blanc. Quelques mots d’instructions lui indiquant ce qu’il
convenait de faire réaliser (cette signature embossée sur le bristol), l’endroit
où il convenait de le faire réaliser. Quelques mots enfin venaient compléter
ces instructions, lui indiquant des dates auxquelles il se déplacerait pour
constater la complète et « opérationnelle » réalisation de sa
demande.
Elle avait donc opéré un
rétroplanning et il ne lui restait que peu de temps avant qu’il ne soit là et
puisse profiter de cette marque, tout à fait nette et cicatrisée.
Il lui avait laissé un temps de
réflexion compte tenu de l’enjeu de son inaliénabilité mais elle avait préféré
le mettre à profit pour rechercher le meilleur artisan disponible dans sa
région. Des heures à vérifier des avis internet et de presque faire du
démarchage en porte à porte. Passer d’un collier virtuel ou physique à temps
partiel à un collier d’encre niché dans les replis de son être lui semblait
tellement d’une telle évidence qu’elle n’avait même pas cillé en lisant la
carte. Elle avait même jugé nécessaire de le remercier de cette excellente idée
et de l’l’hommage qui lui était rendu. Il avait apprécié
Ce temps qui file et la précision
du geste de l’artisan étaient ses seules réelles préoccupations, loin devant sa
posture digne d’une salle d’examen gynécologique ou le caractère incongru qu’on
aurait pu trouver à cette demande.
Quelques minutes encore et la
voici qui sort de « l’atelier ». A la fois la même et dorénavant une
autre. Elle s’appartenait il y a encore une heure et n’a plus cette exclusivité
dorénavant.
Elle porte sa marque, indélébile,
comme on porte le drapeau de sa fierté.
Quelques minutes de trajets
encore puis le contentement des touches du clavier d’ordinateur en lui envoyant
ces simples mots « c’est fait. ».
Ainsi commence pour elle une vie
d’accompagnement et surtout de longues heures avant de se présenter devant lui,
humble et fière à la fois, se découvrant une force nouvelle héritée de simples
gouttes d’encre.