Février. Un mois plutôt froid et
venteux sur la place Saint Marc, et encore, quand la pluie ne vient pas
accompagner avec constance les sorties et découvertes de cette escapade de quelques
jours. La tombe de Stravinsky est toujours aussi émouvante sous la neige et le
plaisir d’échapper à la foule dans le dédale des ruelles toujours aussi
savoureux. Mais quand la nuit tombe d’autres délices succèdent à ceux du
tourisme et d’autres règles s’imposent que celles d’ouverture et de fermeture
des églises ou des musées.
Une règle est toujours immuable
pour les sorties de fin de journée : elle doit rester accessible et
disponible. Contrairement aux apparences, ce ne sont pas les mêmes choses.
Accessible quand aucun sous-vêtement – sauf demande expresse – ne doit entraver
l’accès à son intimité et disponible car elle doit à tout instant et sur un
seul geste ou parole obéir à un commandement.
Elle est donc presque prête pour sortir
dîner, attendant dans le couloir de la chambre l’inspection finale qui validera
ou non sa tenue pour ce soir. Elle est comme souvent délicieuse et féminine et
il en fait le tour non sans une certaine satisfaction doublée de fierté aussi. Les
vérifications d’usage, évidemment, formalisées normalement par une main qui
vient trainer sous sa jupe et inspecter si le cœur lui en dit le moindre de ses
recoins.
Ce soir pourtant, le cérémonial
varie un peu. Il débute comme à l’accoutumée mais, rapidement, il lui demande
de relever sa jupe, écarter les jambes et se cambrer. Elle s’exécute, ferme les
yeux, sens son cœur s’emballer et sa respiration s’accélérer.
A la première seconde elle a
compris. Elle connait ses plaisirs et surtout frissonne au contact de l’acier
froid sur sa peau légèrement moite. Elle sent ses chairs qui se distendent un
peu, reconnait ce léger forçage qui se produit et prend plaisir au remplissage
de son être par cet objet d’acier froid dont seul la partie en cristal bleu
ciel dépassera dorénavant d’elle.
Il lui indique la règle du jeu
avant de l’autoriser à se redresser : elle va sortir avec et doit le
conserver en place jusqu’à nouvel ordre. L’incognito est un de ses plaisirs et
elle sera punie si on peut deviner, par son attitude ou tout signe de remise en
place par exemple, ce qu’elle porte. Elle sera d’autant plus punie si elle le
perd ou l’ôte sans son accord express.
Après s’être assuré que ces
règles étaient bien comprises, il lui demande de se relever, lui tend son
manteau et ouvre la porte pour gagner cette trattoria recommandée dans la
vieille ville. Les premiers pas sont un peu hésitants car c’est la première
fois qu’elle doit le conserver autant et surtout dans une situation où elle est
obligée de se déplacer et se mouvoir beaucoup. Elle sourit car voit son
contentement sur son visage, et c’est surtout ce qui lui importe.
Elle traverse le hall de l’hôtel
avec cette fierté magnifique de ce qui
savent et en jouissent. Puis la porte à tambours, les rues froides et l’aventure
de cette longue distance perchée sur ses talons en tentant de maîtriser ce
corps étranger qui ne semble vouloir en faire qu’à sa tête.
Elle prend tellement plaisir à le
satisfaire et ce qu’il soit fier d’elle qu’elle a pu parfois en oublier sa
présence et c’est en tournant au détour d’une ruelle qu’il se rappelle à lui.
Lui est ravi de cette disposition et passe même sur de très brèves alertes.
Tout allait donc pour le mieux. Le
dîner commandé, des effluves d’agrumes dans les pâtes et un bon Barolo venaient
compléter cet excellent moment. Puis il la sent embarrassée. Cela se voit qu’elle
est bien moins à l’aise que tout à l’heure. Il lui en fait question mais elle
répond que tout va bien. Il lui indique quand même marquer un point sur le
décompte qu’il tient avec elle, sachant qu’elle n’est pas sincère. Au quatrième
point marqué dans la même demi-heure, il n’y tient plus et la questionne sans
ménagement.
Elle doit alors avouer que le
plaisir s’est mué en indélicatesse puis en légère blessure, ayant de plus en
plus de mal à maîtriser l’engin et souffrant d’une trop longue posture assise… La
réponse prend la forme d’un laconique « c’est dommage… ». Il continue
de lui sourire mais a posé sa serviette sur le bord de la table pour cesser de
manger et lui parler.
La suite de la soirée sera pour
elle la suivante : elle va quitter la table, prendre ses affaires, rentrer
à l’hôtel et dans la chambre. Une fois arrivée, elle lui enverra un message
pour lui signifier qu’elle est prête et à sa disposition. Elle devra en effet
revêtir un corset – celui qu’elle sait appartenir au monde de la punition – s’agenouiller
dans ce qui tient lieu de salon. Elle attendra, tête baissée, les mains
ouvertes sur les cuisses, qu’il rentre et règle leurs comptes. Il ne lui dit ni
quand ni comment mais se contente de lâcher qu’il est un peu déçu, même s’il la
sait gré de ses efforts pour une première fois sur un port aussi long.
Elle se lève, légèrement
mortifiée, prend son manteau et s’engouffre dans la froideur de février. Elle n’a
pas osé dire un mot ni même poser de questions sur le sort de l’instrument… Elle
s’éloigne en le voyant au travers de la vitre finir tranquillement ses linguine. Commence alors pour elle l’attente
de la rédemption…