vendredi 15 janvier 2016

Eyes wide what ?

Tous. Ils ont tous la même prétention. Ils croient tous qu’ils vont recréer cette atmosphère dingue et subtile. Recréer ce moment de grâce totale et de dépravation absolue. Faire revivre, au mieux dans une chambre ou un salon parsemé ça et là de quelques bougies ou éclairages « spéciaux », le décor incroyable d’un manoir fin 19ème des Hamptons. Ils pensent qu’il ne suffira que d’une bande sonore (généralement mal maîtrisée) depuis Deezer pour remplacer ce pianiste aux yeux bandés et ce maître de cérémonie qui ponctue les accords plaqués de ces coups de canne. Ils en parlent comme si c’était le Saint Graal, la quête ultime de leurs préoccupations d’adultes qui se veulent libres. Ils en parlent avec des trémolos dans la voix, comme si ce film avait été un reportage en caméra subjective, filmé à l’aide d’une mini caméra plaquée sur un torse. Ils en parlent comme s’ils croyaient sincèrement que ces milieux affranchissaient des classes, castes et ségrégations sociales. Il s’y voient déjà… Ils vous raconteront qu’ils ont de toute façon autant de prestance que Tom Cruise dans leur smocking de location et que les Martin qu’ils ont rencontrés l’été dernier sont tout aussi sympathiques que les mannequins / actrices étaient belles.
Madame s’est occupée de trouver les masques sur internet, avec une livraison par « pli discret ». Monsieur a réservé le gite à peu de distance de la maison, assez pour ne croiser personne, assez peu pour rentrer rapidement au cas où les grands-parents appelleraient pour signaler un problème de santé des enfants. Ils en parlent depuis des semaines et ne manquent jamais une occasion de cligner des yeux sur un air entendu quand ils croisent les Martin. Madame a prolongé son surf sur internet sur des sites où elle espérait que les enfants n’iraient jamais pour se mettre en valeur autant qu’en appétit, Monsieur a décidé depuis déjà deux semaines de passer au fromage blanc à zéro pourcent au restaurant d’entreprise afin de faire son petit effet avec sa cape.
Madame serait devenue riche si on lui avait donné dix euros à chaque fois qu’elle avait demandé à Monsieur « tu es sûr » depuis qu’il avait émis cette brillante idée. Monsieur serait devenu riche si on lui avait donné dix euros à chaque fois qu’il lui avait répondu « de quoi », tellement l’affaire était entendue pour lui.
Et ils s’étaient pris au jeu. Il s’était vu en médecin de l’Upper West Side et elle s’était sentie prête à tout plaquer à l’instant même en croisant un beau marin dans le hall d’un hôtel imaginaire. Ils s’étaient demandés pourquoi ils ne remplaceraient pas le Scenic par un Range Rover. D’occasion, ça pouvait bien se trouver pas trop cher et puis, le Scenic, ça se revend bien il parait.
C’était devenu leur petit plaisir. Leur échappatoire quand la chair est triste et les après dîners un peu trop longs. Ce compte à rebours qui s’égrenait avait remplacé le calendrier scolaire. Ce week-end qui s’annonçait, c’était un peu les week-ends de Marcel Pagnol dans ses « chères collines ». Dans leurs « chairs » collines faudrait-il ici préciser.
Ils le tenait leur remake !


TBC…

1 commentaire:

  1. J'adore ! Merci beaucoup 8 Je découvre Votre blog et J'en suis ravi ! Ah ça Me fait penser à Philippe Murray (en moins cruel ah ah )... Et de ce film, définitivement Je n'aime QUE la dernière ligne de dialogue.

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